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 Les Routes de mon Jemin

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MessageSujet: Re: Les Routes de mon Jemin   Les Routes de mon Jemin - Page 2 EmptyMar 30 Déc - 15:58

Le jour maudit où je réalisai que la belle Solange, ma maman à temps partiel, préférait un autre que moi, je voulus quitter l'école sur-le-champ, renfrogné, jaloux, vaincu mais superbe encore ! Vu que j'étais un élève obéissant, docile et studieux, je ne donnai pas un avenir à mon mauvais sentiment. Je fis la baboune le reste de la journée.

Pfff, la maitresse n'en tint pas compte, à croire qu'elle ne voyait pas mon air bête. Il s'appelait Roland, il habitait de l'autre côté du couvent, une partie du village que je ne connaissais pas car je n'avais aucune raison d'aller par-là. S'il était devenu mon ami, c'eut été une raison suffisante. Bien que ma curiosité m'y poussait, je n'allais pas faire un ami d'un concurrent aussi déloyal à l'affection de la belle Solange ! Qu'on imagine un peu, chaque matin, ce téteux de première (et pas seulement de première année) apportait un fruit à la maitresse. C-h-a-q-u-e matin de la semaine scolarisable (ouvrable, dit-on chez les salariés). Pomme, orange, pêche et même un fruit que je n'avais jamais vu, au nom pas possible : avocat. Avocat, je connaissais, notre deuxième voisin l'était, papa l'avait dit : « Charles l'avocat » ou encore « Notre voisin avocat ».

Solange était fructivore. Je l'aurais contentée volontiers, j'essayai d'ailleurs, mais voilà, à la maison nous ne mangions que le nécessaire, conservant les « fantaisies » pour les heures précieuses, comme Pâque (et le chocolat), Noël (et l'orange) et, ô surprise, d'autres jours qui n'avaient qu'un nom de journée de la semaine, pas d'autre cachet. C'est papa qui faisait l'épicerie, inspiré par une liste que maman lui écrivait et qu'il « oubliait » tout le temps sur la table de cuisine, il faisait l'épicerie par oreille. Papa préférait les légumes aux fruits, aussi même la pomme, fruit commun s'il en est, n'apparaissait pas souvent sur la table. Mais quand il en achetait, et que des McIntosh croquantes à souhait, ce fruit-là faisait long feu, il avait le don de réjouir nos palais de carnivores malgré eux (contrairement à papa, nous ses enfants n'étions pas très fervents des légumes, sauf des carottes crues qu'on piquait chez notre voisin d'en face, il en cultivait pour les fins et les fous dans un jardin interminable qu'il entretenait telle une maitresse adorée ; légume volé ressemble à un fruit convoité).

Apparemment Roland gagnait-il de l'attention à la maitresse en lui offrant des fruits quotidiens, aussi me fis-je violence une fois qu'apparut sur la table une pomme dont je pouvais m'emparer légalement. Je la humai plutôt que de la croquer, je la conservai pour le lendemain afin de me mériter une attention qui me boudait. Quand on a une maman, primaire ou secondaire, il est utile de retenir son attention, les caresses ont un prix. Je payai de mon appétit trahi, c'était néanmoins pour la bonne cause, pour me rassurer. Ça faisait déjà des mois que cinq matins par semaine je quittais maman, il demeurait au fond de moi un doute bizarre et insistant, la possibilité de ne plus la retrouver à mon retour. C'est bête, hein ? Oui, j'étais bête ! D'ailleurs, ma soeur en témoignait parfois quand je ne répondais pas bien à ses attentes : « Mais que t'es bête, Hugo !! » Je ne suis pas un menteur, à peine si j'exagère, le plus souvent par négligence.

Le matin béni où j'offris à la belle Solange le fruit que je lui dédiais malgré les appels de mon estomac insatiable, j'eus droit à un joli sourire qui me transporta d'aise. Elle m'aimait. Ce geste altruiste fit ma journée. Voyez commen il était snoro, ce Roland ! Me voyant offrir une pomme à la maitresse, lui s'empressa dès le lendemain de lui apporter une orange. Une sorte de pomme jaune, et plus juteuse. Des oranges, vous l'ai-je dit ?, nous n'en avions qu'à Noël, le 24 décembre, car on ne fêtait pas Noël le 25. Les oranges, abracadabra, apparaissaient sur la table après souper, quand la visite arrivait pour la messe de minuit, emportant avec elle tous les cadeaux que le coeur de papa aurait aimé nous offrir mais que son portefeuille ne pouvait pas payer. Cette visite était constituée de nos grands frères et grandes soeurs, dument mariés et salariés, leurs cadeaux disaient « merci » à papa pour les années passées. Maman et papa avaient aussi leurs cadeaux !

Roland était le fils du notaire, qu'on ne s'étonne pas s'il pouvait gâter la belle Solange, le chenapan ! Déjà que je ne pouvais pas offrir à ma dame une pomme par jour, pour l'orange, elle devait me patienter. Je doutais que je lui ferais le sacrifice de l'orange prochaine, j'en mangeais une par année, parfois une et demie parce qu'un de mes frères délaissait une moitié, déjà contenté. Le plus rapide s'emparait du demi-fruit. Dieu merci, j'avais des réflexes fulgurants.

Ce faux frère se rendait bien compte que j'étais l'élève à battre, et pas seulement dans le bulletin scolaire où ses réussites étaient moins faciles, ça dépendait de lui seul et non du salaire de son père, alors Roland dédaigna les pommes, puisque je pouvais en fournir, pour les pêches à profusion (un fruit que j'avais gouté une seule fois, il me laissa perplexe, vraiment pas amateur de sa chair quelque peu filandreuse), et arriva ce jour qualifié de maudit où il offrit un avocat à la belle Solange. Je ne vous dis pas la face qu'elle fit, la décrire signerait ma défaite à tout jamais. Longtemps resta-t-elle interdite, les yeux arrondis fixés sur le fruit exotique, n'osant les croire. (Oui, la belle Solange adorait l'avocat, comme d'un Docteur Jhivago promettant des pâmoisons et la jalousie des rivales évincées. Ce qu'elles sont romantiques, les femmes !)

Mon chat était mort, je m'en informai auprès de maman, l'épicier qui servait papa ne vendait pas d'avocat. Le père de Roland les achetait en ville, quelque part en dehors du village, par-là, là où je n'allais pas mettre les pieds de sitôt, il fallait prendre l'autobus (l'idée seule de ce voyage me rendait caduc à ma propre volonté de puissance). Roland m'avait vaincu. Que pouvais-je faire pour mériter à nouveau tout l'amour de la belle Solange, qu'elle m'avait manifesté dès le premier jour, j'avais pleuré toutes les larmes de mon corps quand elle referma derrière moi, dernier rentré dans la classe, la porte qui, dans un bang, parut m'exiler à jamais. Je n'avais pensé à rien, je m'étais précipité vers elle, la joue contre son petit ventre élégamment rebondi, de mes bras frénétiques entourant ses longues cuisses dont rêvaient les hommes qui ne retrouvaient pas du semblable dans leur lit conjugal (il n'y a pas que l'herbe qui soit plus verte chez le voisin).

J'ai résolu ce problème cornélien au fil des jours suivants en décrétant que je n'avais qu'une mère et que celle-là, assurément, m'aimait à ne pas en douter. Pour m'en convaincre, chaque fois que je sentis que maman appréciait moins qui je manifestais, je faisais semblant de ne rien remarquer. Ce qu'on ne voit pas n'existant pas, je restais rassuré.

Mieux vaut être un héros qui détale qu'un héros mort !
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MessageSujet: Re: Les Routes de mon Jemin   Les Routes de mon Jemin - Page 2 EmptyDim 4 Jan - 16:20

Le jour béni où je devins déjà un peu un homme. C'était un dimanche, le jour où il fallait s'endimancher et ne pas se salir. Nous étions assis sur la véranda, moi et deux de mes frères, on évitait autant que possible la cour arrière, l'herbe verte et l'espace attisaient notre besoin insatiable de jouer, de se dépenser physiquement. Ça nous vidait de notre fébrilité, ce que nous n'avions pu faire tout notre content les jours précédents, cet été-là n'invitait pas à jouer dehors, il avait plu et venté, le terrain de jeux fut fermé jour après jour et nous confinés à l'intérieur de la maison, sauf pour de rares moments d'accalmie atmosphérique dont nous ne puissions profiter à plein, l'herbe et la terre étant gorgées d'eau. De toute façon, il arrêtait de pleuvoir le temps d'une pause-café.

Nous avions les nerfs, comme disait maman. Papa ne recevait pas sa visite du dimanche, ce jour-là, un frère, un cousin, un voisin, quelqu'un avec qui parler après diner de politique au salon. Son invité partageait notre table. Une personne à nourrir de plus pour maman. Elle ne s'en plaignait pas. Elle devait aimer faire la cuisine, ou voir son monde mangé d'appétit, un compliment qui lui était fait sans avoir à le dire (les mâles ont le compliment prude). Je ne sais pas l'heure qu'il faisait, mais le temps oui : il faisait enfin beau ! Je savais lire l'heure, mais je n'avais pas de montre au poignet, ni mes frères, c'était une tradition dans notre famille, un écolier ne portait pas une montre-bracelet (appelé bracelet-montre de l'autre côté de l'Atlantique, comme un inversement dans un miroir, en plus que l'objet passait du masculin au féminin ; j'ignorais à cet âge-là cette cocasserie, heureusement, j'étais moins indulgent qu'aujourd'hui, j'aurais salement ri de mes Cousins qui mélangent tout, j'aurais été puni, à genoux dans le coin, c'est que l'éducation était très chrétienne à l'époque, ce qui pourtant n'empêchait pas des gens d'être bizarres, comme ces Français qui parlaient à l'envers de nous). Tout à coup apparu papa, cherchant quelqu'un du regard, c'était moi ! Mais je n'avais encore rien fait de mal, moi !

« C'est le temps ! » dit-il d'une voix paternelle, donc impériale.

Je ne compris pas. C'est le samedi, une fois par deux mois, qu'il nous coupait les cheveux, papa. Il me fit signe de le suivre. Je le vis descendre les trois marches de notre galerie, s'en allant en arrière de la maison par l'espace réservé au stationnement de la visite (on ne jouait jamais là, c'était du gravier, on ne pouvait pas se jeter par terre, sauf pour souffrir, la chair déchirée et nos pantalons aussi quand nous ne portions pas la culotte courte... c'est alors qu'on se blessait, justement, je le sais, j'avais essayé!). Papa n'avait pas dit de le suivre, c'était tout comme. Ne pas obéir à ses attentes était lui désobéir, il fallait être idiot pour faire ça. Je l'avais donc suivi, les fesses plus serrées que nécessaire.

Quand je l'ai rejoint (papa marchait vite, et il savait sa destination), il tenait déjà sa bicyclette debout par une poignée. Il me l'indiqua du doigt. Je la connaissais déjà. Papa ne l'utilisait presque plus, sa vieille bicyclette héritée de son père, un grand « pédaleux », qu'on m'avait dit (je ne l'ai jamais vu, donc connu autrement que par les mots des autres). Grand-papa pédalait dans les rues du village que papa avait quitté, dans ce village-là, il y avait moins de voitures que dans le village de mon enfance, les gens marchaient peu, alors ils pédalaient. Une sorte de Chine au Canada. (Pour la petite Histoire, même aujourd'hui, en 2009, les autos circulent peu dans le village d'enfance de papa. Les gens ne sont pas arriérés ou trop pauvres, ils sont demeurés sportifs.)

« C'est à ton tour, mon gars ! » me dit-il, pointant la bicyclette de sa main libre.

Je lui ai fait une face. À cet âge-là (je n'avais pas encore 8 ans), j'avais moins de mots que maintenant pour dialoguer, alors je manifestais des airs de face. Papa reçut bien mon air, je l'entendis rire - ce qui était assez rare, hélas.

« Dis-moi pas que t'as peur d'apprendre le bicycle ?! Allons donc ! personne en meurt ! »

Je ne lui « disais » pas, plutôt ma surprise et ma joie. La surprise d'être initié aussi tôt à chevaucher cette monture de métal, mes autres frères attendirent plus longtemps, et la joie que ce jour merveilleux soit déjà arrivé. (Remarquez que lorsqu'une surprise merveilleuse nous arrive, qu'on n'avait pas prévue, forcément sommes-nous toujours surpris que cela arrive si vite. La surprise n'était pas annoncée, mais aléatoire, dépendant d'une autre volonté. Ce pourquoi son arrivée va surprendre.) De son bras libre, cet homme plutôt petit (mais pas pour l'époque), il mesurait 5 pieds et 7 pouces - nos mesures étaient anglo-saxonnes à l'époque -, il me hissa avec facilité sur la selle de mon destrier. Mes pieds peinaient à toucher, du bout de mes souliers endimanchés (comme le reste de ma personne), les pédales. La bicyclette de papa pouvait être domptée par un jeune adolescent ; à quoi avait pensé papa ? moi je n'étais qu'un enfant âgé, certes, mais un enfant encore.

Il s'était empressé de m'apprendre ce que je ne pouvais pas encore gérer physiquement, même si j'avais passablement grandi durant l'année en cours. Et j'allais, dans mon adolescence véritable, connaitre une autre année de pousse formidable, quittant l'école à une hauteur et retrouvant l'école avec une dizaine de centimètres supplémentaires ! L'été de mon ascension. (Mais lorsqu'on grandit aussi vite, on oublie d'élargir aussi ! On m'appela l'Échalas ! Non, non, les enfants ne sont pas cruels, n'allez pas penser ça ! J'allais me venger de mes tourmenteurs en acquérant plus tard non pas des épaules plus larges, mais un ventre plus proéminent. On fait ce qu'on peut avec ce qu'on a.)

Papa poussa la bicyclette (qu'il appelait « bicycle ») d'une main ferme qui me tenait à la verticale tout en occasionnant une poussée en avant à mon aventure formidable. Je ne réussissais à toucher aux pédales que lorsqu'elles étaient à leur périhélie, c'est-à-dire au plus près de mes pieds. Vous ne pensiez quand même pas que je me prenais pour le Soleil ! Pas encore. Le plus extraordinaire de mon aventure nouvelle fut que je ne réalisai pas que j'étais guidé par la main puissante de papa, je CROYAIS, d'une foi inébranlable, que j'étais acteur propre de mon exploit. Quand, contournant la maison avec papa trottinant légèrement derrière moi sur ma droite, je passai devant mes frères restés assis sur la véranda, je manifestai une joie s'apparentant à de l'orgueil. J'avais le torse plus volumineux que de coutume et les joues moins roses. Mais eux me regardèrent orbiter autour de la maison avec l'indifférence de Saturne pour ses planètes, elle en a tellement que ça ne l'impressionne plus.

Leur indifférence me rendit perplexe, mais pas plus lucide. Je fis quatre orbites autour de la maison, récoltant chaque fois la même indifférence de la part de mes frères. Je commençais à penser qu'ils étaient jaloux, et ce mauvais sentiment dilua la magie que je vivais. Pourquoi n'étaient-ils pas contents jusqu'à devenir admiratifs ? Quatre tours de la maison était ce que la condition physique de papa lui permettait, quand nous retournâmes au perron de ciment à côté de la maison, sa porte donnant sur le petit passage qui menait à la « shed », à la « dépense » et à la cuisine tout à la fois, papa cessa de me pousser. Mais je pédalais encore, moi, puisque j'étais celui qui faisait avancer le « bicycle » ! Non. J'avais beau vouloir pédaler, mon cheval de fer ne galopait plus.

« Pis ? » dit papa, essoufflé mais souriant.

Il ne souriait pas plus souvent qu'il riait. C'était un adulte sérieux.

Je ne compris pas le sens de sa question.

« Débarque ! » m'intima-t-il.

Il ne me donna pas le temps de lui obéir, son même bras embarqueur mais débarqua avec la même aisance. Dès que je retrouvai l'usage de mes semelles, plutôt que du bout de mes pieds, je pédalai... pardon, je courus jusqu'à la véranda, montrer à mes frères mon bonheur nouveau. Ils m'accueillirent avec une même indifférence, égale à un ennui désobligeant. Je fus sur le moment perplexe, mais comme je demeurais convaincu d'avoir réalisé moi-même l'exploit, mon plaisir demeura. Je retournai m'assoir comme un héros qu'on venait de décorer.

Finalement, d'être niaiseux nous garantit de bonheurs autrement inaccessibles. J'ai pu raconter à mes jeunes amis du terrain de jeux (puisque le beau temps était revenu) que j'avais appris en une seule fois à piloter une bicyclette.

« Pis je suis pas tombé jamais ! »

Leurs airs admiratifs me firent oublier l'indifférence apparente de mes frères chéris.
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MessageSujet: Re: Les Routes de mon Jemin   Les Routes de mon Jemin - Page 2 EmptyMar 6 Jan - 18:47

Ah, ce jour particulier parmi tous les jours qui nous tombent dessus sans avertissement !

J'avais 11 ans. Car le temps passe, c'est sa propre destinée. Il passe d'autant mieux qu'on n'a pas bien conscience de son passage, on vit, on ne pense pas à mal, on remplit le temps présent et, hop !, tout à coup, on s'aperçoit qu'il en passa beaucoup, du temps. Parce qu'on avait vécu du temps qui ne méritait pas d'être noté à notre mémoire. Voilà tout.

Donc, un jour que j'avais 11 ans, il advint un jour qui fut remarquable sur les autres jours de cet anniversaire-là qui ne méritèrent pas d'être notés. Ça arrive, ça. Ce jour-là (me souviens plus si c'était lundi, mardi, mercredi et tout le reste), c'était un jour de la semaine. Forcément. Je m'étais levé car j'étais réveillé et je ne voyais pas pourquoi je resterais dans mon lit, les yeux ouverts, à contempler le plafond que papa n'avait pas peinturé depuis assez longtemps pour que je ne m'en souvienne pas. J'ouvris les yeux et je me levai. En tout cas, c'était un jour de la semaine, papa n'était pas là, ni dans la cuisine ni dans le salon, où il se réfugiait quand il n'avait rien à faire de ses dix doigts.

Maman était dans la cuisine. Normal, c'était SON royaume. Elle était la « reine du foyer », je venais d'apprendre ça. Une maman, c'est une reine. Ah bon. Je pensais que c'était une servante pour chacun de mes caprices. Vu que j'étais son enfant. On est désillusionnés bien jeunes dans la Vie, je trouve. La Vie est cruelle. Je m'éveillai ce jour-là dès potron-minet (qu'on disait potron-jaquet en des temps plus anciens que celui de ma jeunesse que j'évoque sans nostalgie, je pense), mais pas aussi tôt que je le crus, je vous le répète, advenant à la cusine, j'y découvris maman mais pas papa. Déjà était-il parti. Jamais de ma vie de jeune me suis-je éveillé si tôt que je pus assister au départ de papa pour l'usine, là où il gagnait sa vie et la nôtre. C'est dire comme il partait tôt - ou c'est dire comme je savais dormir longtemps en ce temps béni ! Je ne saurais dire laquelle de ces deux suppositions est la plus vraie. Et c'est sans importance.

Ce jour-là, donc, je déjeunai avant tous mes frères et ma soeur, une lève-tard. Tandis qu'eux déjeunaient, j'étais dehors et j'interrogeais le chemin d'asphalte devant la porte, dévolue aux voitures qui rarement passaient et aux voisins qui avaient le droit, plus que nous, de l'emprunter, même si c'était sans raison. À nous, il fallait avoir une raison. Par exemple d'y jouer. J'étais seul, je ne pouvais pas jouer avec moi-même, la pudeur me l'interdisait. Et je la vis. Elle ! Que je ne connaissais pas encore, sous prétexte que je ne l'avais pas vue encore. Une fille. Une représentante du sexe que je n'avais pas - de ce sexe que je dirais plus tard, à l'adolescence, quand j'acquis du vocabulaire, du sexe que je n'avais pas. Le sexe d'en face, quoi. C'était définitivement une fille.

J'étais assis sur la galerie, qui servait aussi de véranda, je regardais le temps qui passait et elle passa elle aussi. Une fille jamais vue avant. Elle marchait lentement. On dirait que les filles sont plus lentes que les garçons. J'avais cette impression-là. Elles sont moins hâtives de vivre, alors elles vivent plus longtemps, prenant leur temps de mourir à leur tour. Sont pas connes, les filles, malgré les apparences. Je trouve.

Elle marchait du haut de la rue vers le bas. Toute seule. Comme une grande fille. Et j'étais tout seul sur la galerie, sans mes frères, je me sentais bougrement seul. Seul avec moi-même. Elle déambulait. À la manière d'une fille, qui a tout son temps. Moi, qui étais seul, qu'avais-je de mieux à faire sinon de la regarder passer du haut vers le bas de la rue ? Que ça à faire. J'en étais conscient, malgré l'heure matinale. Je la regardai être et passante. En soi, ce n'était pas un évènement, quand tu as 11 ans, tu en as vu du monde passer. Mais cette fois-là, de ce jour-là dont je ne rappèle pas du nom, c'était différent. J'étais seul et elle était jolie. Avant que je l'aperçoive, la beauté des filles me passait par-dessus la tête, vous n'avez pas idée du combien. C'était haut. Oh que je m'en foutais. Pas ce matin-là que je digérais sur la galerie qui était une véranda. Je la regardai passer. Elle. Une inconnue. Jamais vue encore. Une fille. Et je m'en foutais, des filles, je ne jouais pas avec, sauf avec ma soeur Chantale, à des jeux ennuiyants. Les filles étaient ennuyantes par nature. Me semblait-il.

Celle-là... pas tout à fait. Cette fille, une nouvelle, une inconnue, venait de ma droite puisqu'elle marchait du haut de la rue vers le bas de la rue. Je la « lisais » de droite à gauche, le contraire de ce qu'on m'avait appris à l'école depuis 5 ans déjà. Ça vous mêle un mâle, ça ! Par bête curiosité, je suivis sa pérégrination, si tôt un matin, quelqu'un marchait dans ma rue, quelqu'un du sexe que je n'avais pas. D'habitude, ça me laissait froid. Elle me laissa indifférent aussi jusqu'au temps qu'elle s'engagea dans le bas de la rue, càd à la gauche de ma position de garçon assis qui regardait le temps passer. Elle s'arrêta.

Je ne l'avais pas interpellée. Pourquoi l'aurais-je fait ? Elle m'était inconnue, et une fille de surcroit. J'avais assez de ma soeur à pâtir, je n'allais pas m'intéresser à d'autres filles, je n'étais pas né pour souffrir, voyez-vous. Mais ELLE, elle s'arrêta de marcher, tourna son attention vers moi. Ce fut là mon premier étonnement. Et elle m'a souri. J'ai regardé autour de moi, j'étais tout seul. Il était vraiment tôt, je ne vous mens, il n'y avait qu'elle et moi. Elle n'avait donc que moi à considérer, prenant la peine de s'arrêter d'avancer pour me regarder. Première surprise. La deuxième vint de ses lèvres, qu'elle avait vermeilles (mettons), des lèvres d'une couleur inhabituelle, une couleur que je voyais bien. Et ces lèvres-là, ô surprise, seconde surprise, elles s'étirèrent. Comme si c'était pour fêter ma présence. Mettez-vous à ma place, je fus éminemment surpris. Je cherchai à nouveau une autre présence autour de moi méritant une telle attention. J'étais seul. Et bien perplexe. C'est à moi qu'elle souriait, elle une fille, du sexe d'en face, prenant conscience de ma présence matinale et s'en réjouissant. Je n'avais vraiment pas fait exprès. Je digérais trois toasts au beurre de pinottes hâtivement mangés avec un grand verre de Nestlé Quick rapidement avalé aussi. Nous autres, on ne niaisait pas longtemps avec la bouffe quand nous étions jeunes, on avait autre chose à faire de nos journées que de nourrir. Non mais !

« Salut ! » me lança-t-elle, comme en me regardant, à croire qu'elle s'adressait à moi.

Je ne sais pas pourquoi, elle me devint comme plus visible, comme exemplaire, comme unique au Monde, il n'y avait que cette fille et moi. Je me sentais de trop.

« Euh... » lui ai-je comme répondu, autant inspiré qu'une clé déposée devant une serrure qui ne lui fut pas présentée.

« Tu t'appèles comment ? » s'enquit-il, ses grands yeux visés dans les miens qui essayaiet de se dérober, peine perdue, je ne voyais que ses yeux qui étaient d'une couleur qu'on ne m'avait pas apprise encore, mais c'était beau.

« Euh... Hugo. »

« Moi, c'est Martine. »

Je ne savais plus déjà qui être. Moi Hugo, toi Martine. Pis ? Face à mon silence, son regard se fit insistant, et son sourire s'allongea. J'y perdais mon latin, que je n'avais pas appris encore, sinon que c'était une langue morte, je ne m'intéressais pas aux morts, les vivants m'énervaient assez de même. Nous étions là, chiens de faïence mais sans animosité, plutôt sans inspiration, chacun regardait l'autre et paraissant se demander ce que l'autre faisait devant lui. C'était décidément un matin d'un jour bien spécial. Et j'étais sans inspiration. J'étais moi-même.

« T'es beau » dit-elle.

Son mot résonna dans ma tête le temps de voir venir Pâque, Noêl et mon extrême-onction, son mot me laissa pantois, je l'avais bien entendu, j'ai toujours eu une ouïe merveilleuse, mais à qui parlait-elle ? Je réalisais mieux encore que nous n'étions qu'elle et moi. De perplexe, je devins confondu, autrement dit embarrassé. J'existais pour une fille qui n'était ni ma mère ni ma soeur, les seules femmes acceptables de ma vie d'alors - les voisines, également des femmes, étaient des accessoires meublant mon regard, jamais du nécessaire à mon coeur. Celle-là était... spéciale.

Elle s'était arrêtée, elle m'avait souri et elle avait des mots pour moi. Je cherchais fébrilement de quoi lui répondre, mais que c'est con, je ne trouvais pas. Je la regardais me regarder et c'était comme l'alpha et l'oméga de l'expérience qu'elle me faisait vivre.

J'étais alors trop jeune - ou trop niaiseux - pour savoir qu'elle m'invitait à un sentiment que je ne croyais pas pour elle. C'est seulement quand, de guerre lasse, elle continua sa route jusqu'à disparaitre en bas de la rue, que je réalisai qu'elle comptait déjà pour moi. Pour m'en assurer, je fis ce que je n'avais pas le droit de faire, je m'aventurai au milieu de la rue pour la voir encore partir loin de ma vie et de la réponse que je ne sus pas lui rendre. Je ne la voyais plus, elle avait disparu, me laissant seul, vraiment seul avec moi-même et une réponse devenue inutile.

« Qu'est-ce que tu fais dans la rue, toi ?! » m'admonesta maman qui ne manquait rien des actes de sa couvée.

Maman me ramena par son cri à la galerie et à moi-même. Je ne pensai plus à cette fille-là, du reste de la journée, car mes frères sortirent, comme pour témoigner d'un drame dont ils n'étaient pas responsables. Ils en furent pour leur frais, il ne s'était rien passé.

C'est seulement une vie plus tard que je me rappèle, tout à coup, de ce petit matin-là dont j'ai oublié le nom dans la semaine. Où une fille, qui n'était pas obligée de m'aimer, me fit exister différemment. De lointaines prémices à un changement dont je n'avais pas idée encore. On peut naitre à la femme sans avoir à bander déjà.

Je le sais, je l'ai vécu.
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MessageSujet: Re: Les Routes de mon Jemin   Les Routes de mon Jemin - Page 2 EmptyMar 6 Jan - 19:28

cheers superbe ... et je le pense fort.
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MessageSujet: Re: Les Routes de mon Jemin   Les Routes de mon Jemin - Page 2 EmptyVen 9 Jan - 3:19

Ce qu'il y a de particulier avec tes chapitres Jeminesques, Kog, c'est qu'on a vaguement l'impression d'etre dans la tete d'un garçon. Pas un futur genocideur ou un Prix Nobel de medecine, quoique l'avenir nous le dira, non,quelqu'un qu'on pourrait croiser le matin sur le chemin de l'ecole, un garçon comme les autres.
C'est assez effrayant.
Il a des sentiments, on dirait.


Mab
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MessageSujet: Re: Les Routes de mon Jemin   Les Routes de mon Jemin - Page 2 EmptyVen 9 Jan - 7:36

Effrayant me laisse perplexe, Mab .. non, pas exactement effrayant : je dirais admirative, et un peu craintive : envie de le protêger, ce petit : de lui dire que non, il se gourre, la vie n'acceptera pas une telle naiveté,. Qu'il faut qu'il s'en debarrasse, vite, vite ... Arrétée par ceci : s'il se faufile en dehors de son lui-là, que lui restera-t-il ? ne risque-t-il pas de perdre plus encore et la meilleure part de lui-même ? c'est pourquoi il faut le laisser aller de l'avant vers ses découvertes, et refreiner nos tremblements. Très maternle, cette attitude, mais on ne se refait pas, ma pauvre dame !

Puis, c'est comme dans les films, tu sais : on sait que tout va s'arranger et qu'il fera face, à la fin. Un happy ending, en quelque sorte. Le plus effrayant de l'histoire, c'est que nous en sommes tous là, non ?
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MessageSujet: Re: Les Routes de mon Jemin   Les Routes de mon Jemin - Page 2 EmptyVen 9 Jan - 9:01

Le sentiment offert n'est peut-être pas celui qu'on attendait, qu'on soit homme ou femme, mais c'est le seul qui pouvait être à ce moment-là.

On ne reçoit bien que ce qui avantage dans un sens ou dans l'autre, qui fera naitre de l'agitation en soi, positive ou négative. Bruire ou ne pas être.

Il n'y a que l'élan intellectuel pour nous sortir de là, et encore !
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MessageSujet: TARATATATA   Les Routes de mon Jemin - Page 2 EmptyVen 9 Jan - 9:48

Kog nous dit que les garçons s'emotionnent, je n'intellectualise pas, je digère l'info.

La naiveté n'a pas de sexe -pour qu'elle se decline au feminin, j'imagine que le mot à été trouvé par un homme- mais les futurs hommes sont effectivement moins roués que les femmes à venir; nous autres, filles, n'apprenons pas à charmer pour obtenir ce que nous voulons, ou simplement provoquer un emoi chez les specimens du sexe d'en face : on a ça dans le sang.


Mab, qui bat des cils
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EddieCochran

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MessageSujet: 33 - Jemin à la croisée des routes de l'Universalité   Les Routes de mon Jemin - Page 2 EmptyMer 28 Jan - 8:07

Dans l'hypothèse où, pour parfaire son CV, le Petit Jean Jemin ferait ses humanités à la faculté des Arts & Belles Lettres il est rappelé à notre bon public qu'en ce 28 janvier nous célébrons la mémoire de Thomas d'Aquin saint patron des Universitaires.
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DMaudio
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MessageSujet: Re: Les Routes de mon Jemin   Les Routes de mon Jemin - Page 2 EmptyMer 28 Jan - 12:00

St-Thomas d'Aquin, c'est pas celui qui a dit qu'il ne voulait pas en entendre parler... Qu'il voulait le wouére, lui !

Il serait pas plutôt le patron de la Télé-Université ? Si ?
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MessageSujet: Re: Les Routes de mon Jemin   Les Routes de mon Jemin - Page 2 Empty

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